Speech by Maurice Nivat on receiving an Honorary Degree from the University of Bologna

Le grand honneur que me fait aujourd'hui l'Université de Bologne me touche beaucoup et je tiens à la remercier très vivement. Mon attachement à la bonne vieille Europe et à sa longue histoire fait que j'apprécie tout particulierement d'être honoré par la plus vielle de ces institutions anciennes que sont les Universités. Une de ces institutions poussiereuses selon certains et qui ne seraient plus adaptées aux transformations rapides du monde contemporain: l'Université de Bologne, si vivante, si riche, ouverte sur tous les courants de la Pensée, toutes les branches de la Science, toute la vaste panoplie des Techniques, demontre à l'evidence le contraire. Le monde a changé, c'est vrai, mais il y a des choses qui n'ont pas changé et peut être ne changeront jamais: les idées neuves rencontrent des résistances, hélas, et moins sans doute dans la societé en general que parmi les detenteurs d'autres savoirs qui voient rarement d'un très bon oeil émerger d'autres branches de celui-ci avec les quelles il faudra bien "partager". Ces résistances se traduisent par des tentatives de sous estimation des idées nouvelles dont on annonce volontiers la fin prochaine, "ce ne sera qu'un feu de paille,vous verrez", et sont souvent accompagnées, sans grande logique, de tentatives d'annexion. L'honneur des Universités est de faire leur place aux idées neuves à travers débats et confrontations et de mettre finalement les savoirs nouveaux à la disposition des jeunes et des non-initiés: car les savoirs nouveaux ont eux tendance a s'entourer de mystère, les gens qui les détiennent, encore moins partageux que les autres, cherchent à les utiliser pour acquérir pouvoir, influence ou fortune et les dits savoirs circulent d'abord comme des recettes magiques qu'on ne saurait bien comprendre sans faire appel à un expert volontiers transformé en "gourou": le temps n'est pas très éloigné où la fabrication des compilateurs, ces traducteurs de langages qui permettent aux machines à calculer de comprendre et exécuter des suites d'instructions écrites sous une forme peu éloignée du langage ordinaire des mathématiciens était l'objet de recettes qui se transmettaient par des cheminements bizarres n'ayant rien à voir avec la publication scientifique ordinaire, que d'aucuns collectionnaient pendant que circulaient les rumeurs sur l'excellence de telle ou telle recette. Les initiés ou ceux qui voulaient le paraître après un voyage outre océan vers quelque mecque de l'informatique naissante branlaient du chef d'un air entendu; (?) les non-initiés étaient prêts à tout pour être mis dans la confidence et admis à partager ces secrets d'autant plus allechants qu'ils se transformaient en bon et bel argent dans des compagnies poussant comme champignons.

Aujourd'hui l'accueil fait par l'Université de Bologne au 25ème ICALP, l'honneur qu'elle fait a mon éminent collegue et très vieil ami Robin Milner et à moi même sont bien la preuve que l'informatique est sortie du domaine de la magie, au moins pour une grande partie. Je comprends cet honneur qui m'est échu surtout comme un hommage rendu à ce qu'il est convenu d'appeler l'informatique théorique et à l'ensemble des informaticiens théoriciens rassemblés ici pour ICALP et plus généralement au sein de l'Association Européenne d'Informatique Theorique, l'EATCS, organisatrice depuis 25 ans de ces ICALP. L'EATCS ce sont quelques 2000 personnes - dont je suis, hélas, un des plus vieux - qui ne croient pas à la magie, n'en font point commerce ni de rien d'autre d'ailleurs et bien peu se sont veritablement enrichis; 2000 chercheurs d'origines et formations très diverses qui ont rencontré un jour l'informatique et se sont arretés pour comprendre, pour essayer de comprendre, les phénomènes etranges liés au calcul sur nos machines et en general sur toutes les structures qui s'y prêtent. Les machines à calculer que nous connaissons et leur formidable essor qu'il convient d'avoir toujours present à l'esprit motivent et encouragent cet intérêt pour les phénomènes de calcul, mais il faut rappeler que le calcul a existé bien avant elle: un des plus fameux algorithmes reste l'algorithme d'Euclide pour calculer le PGCD de deux entiers, algorithme incontournable que l'on ne peut ameliorér en dépit de son grand âge. La théorie même du calcul cad essentiellement la hiérachisation des problèmes en fonction de la complexité du calcul de leur solution ainsi que l'étude des problèmes indécidables dont la solution, si elle existe, n'est pas calculable n'ont pas non plus attendu l'émergence des calculateurs pour se constituer entre les mains de logiciens comme Goedel ou Turing et cette théorie reste la source d'innombrables et fascinants problèmes: par exmple ceux que souleve la cryptographie art de crypter des message de facon a ce que l'"ennemi" ne puisse pas, quoiqu'il arrive, les decrypter. On entrevoit la, les problèmes que nous disons NP-durs dont la seule solution exacte connue par exhaustion d'un nombre exponentiel de cas possibles peut, des que la taille du problème est assez grande, exiger des siècles de calcul sur les machines les plus puissantes actuelles ou concevables dans l'avenir. Ces problèmes sont innombrables même dans des situations très simples comme la recherche d'emplois du temps où il s'agit d'assurer a chaque instant la présence d'un nombre donné d'employes, par exemple dans un hopital en respectant les contraintes q'un employé travaille par intervalles de temps non sécables. La solution exacte s'il en existe etant pratiquement incalculable il reste à chercher des solutions approchées pour les quelles ont developpe un monde d'heuristiques qu'il faut à la fois mettre en oeuvre, tester sur des examples "réels" et évaluer si possible: l'art est en effet très difficile de démontrer qu'une heuristique fournit dans tous les cas d'un domaine bien défini une solution approchée à k près, ou fournit une telle solution" en moyenne" ou avec une probabilité assez grande et mesurable. On imagine ainsi le métier d'algorithmicien, métier d'ingenieur, de création et d'invention d'algorithmes ou d'heuristiques, de patientes mises au point et de tests suivis d'ameliorations toujours recommencées, toujours perfectibles avec en plus des difficultés mathématiques et combinatoires extrêmes des qu'il cherche à évaluer formellement les performances de ses méthodes.

Une autre grande partie de l'Informatique théorique est ce que l'on peut appeler la science du logiciel ou si l'on prefere la théorie de la programmation où ce sont les programmes eux mêmes qui sont pris comme objets d'études, programmes comme expressions formelles dans un langage ayant une syntaxe et une sémantique et destinés à designer des objets, fonctions, fonctionnelles, procedures etc. dont beaucoup sont des objets non familiers aux mathématiciens ou logiciens traditionnels mais très" réels" en informatique (tel module réalise la mise à jour, tel autre assure la synchronisation etc..). Là encore il s'agit d'une problèmatique qui s'est developpé bien avant les ordinateurs modernes, ou en même temps sans rien leur devoir, entre les mains de logiciens comme Church ou Curry, mais elle a pris une importance singuliere dans la perspective de la verification qu'un logiciel fait bien ce qu'il doit faire ou a ete concu pour faire et plus generalement tous les outils de production ou de manipulation de logiciels devenus tout a fait indispensables devant la taille gigantesque qu'atteignent ceux-ci - centaines de milliers ou millions de lignes de codes - dont de nombreuses critiques en ce sens que la moindre erreur peut être fatale. La théorie fleurit sous la forme de systèmes formels de modèles d'algorithmes de typage de démonstrateurs automatiques mais la encore l'experience regne en maitresse, ces sémantiques n'ont de valeur qu'utilisée pour decrire, produire, méttre au point ou verifier des logiciels de plus en plus complexes. Plus encore que les algorithmiciens les sémanticiens sont soumis au rythme effrené des avancées technologiques et des nouvelles formes de programmation qu'elles autorisent ou suggerent.

Ce n'est pas le lieu ici de faire un panorama exhaustif de tous les problèmes qui constituent l'informatique théorique et je voudrais conclure sur ce qui me tient le plus à coeur: jusqu'ici j'ai sans doute donné l'impression que les informaticiens théoriciens courrent après des problèmes soulevés ici ou la par d'autres et une technologie qui avance très vite sans eux. N'osant revendiquer Euclide comme Informaticien, nous nous contemplons dans une histoire bien courte commencée il y a seulement 40 ans et agissons toujours comme si nous etions très pressés, dans une hate d'ailleurs consubstantielle a l'Informatique, puisque le principal argument de vente des machines est que les machines font gagner du temps. La formation des concepts, leur enrichissement et affinement progressifs, la simplifaication qui permet d'en elargir l'usage sont pourtant des processus lents prenant plusieurs générations. Ma satisfaction profonde aujourd'hui vient de ce que je suis persuadé que plusieurs concepts tout à fait fondamentaux ont été mis à jour par les informaticiens théoriciens, concepts qui sont a la fois des clés pour comprendre l'univers des outils d'action sur le réel et la source de profondes questions sur la nature des choses: un tel concept est le concept d'automate, surtout utile quand ces automates sont finis. Leur histoire moderne commence en 1956 par la publication du volume Automata Studies actes d'un colloque tenu à l'Université de Princeton, et l'article de S C Kleene le logicien par ailleurs fondateur de la théorie moderne de la recursivité. Bien d'autres modèles de structures supposées se transformer, agir, envoyer de signaux en recevant des impulsions ou stimuli avaient precedé cet article, certains proposés par les specialistes de la "switching theory" - ou, si l'on préfére, des relais et bascules électriques - d'autres de facon intéressante par de neurophysiologues tels Mc Culloch and Pitt et leurs reseaux de "neurones". Dans le même volume, le grand Von Neumann proposait un modèle d'automate adptatif et probabiliste. J'ai travaillé longtemps sur les automates et les objets qui leur sont très apparentes que sont les grammaires à la Chomsky. Ce sont des objets fascinants dont la théorie au bout de 40 ans a evidemment beaucoup progressé mais laisse encore beaucoup de travail à nos successeur: ce n'est que recemment que j'ai acquis la certitude que mes chers automates dureront et que leur étude ne fait que commencer, grace à l'émergence et a l'évolution de tous les problèmes que l'on peut dire de concurrence de parallèlisme et de synchronisation. Problèmes qui se sont fait jour lentement - il fallait attendre, pour qu'on puisse les traiter, que les ordinateurs aient acqui une puissance et une rapidité suffisante - et qui trouvent leur plus belle application dans la commande de systèmes très complexes où des milliers d'informations doivent être traitées en temps réel, le logiciel de commande ayant a gérer un nombre potentiel de situations extrêment elevé. De tels systèmes sont incorporés aux avions modernes comme l'airbus A 330 ou le Boeing 667 mais en fait toutes les grandes réalisations industrielles - fusées centrales nucleaires, trains à grande vitesse, etc. - en comporte de semblables. Et les automates, ceux de Kleene, ceux sur lesquels ici nous avons été très nombreux à travailler sont l'outil conceptuel de base pour decrire concevoir et valider de tels systèmes au point que dans le monde ce sont des milliers d'ingenieurs et techniciens qui à longueur de journée ecrivent ou analysent de ces automates. Et ce de plus en plus explicitement, ce qui signifie que la théorie qui nous est chère a triomphé des recettes qui l'ont precedée chez les ingenieurs, recemment un rapprochement a commencé à s'effectuer entre automaticiens et informaticiens qui est bien la reconnaissance du fait qu'ils travaillent sur un même concept: automate ici, systèmes à événemants discrets là. Tout cela donne un relief singulier aux recherches parfois laborieuses et qu'il est de bon ton de moquer comme inapplicables ou inappliquées, au moins en France: la verité vraie est que l'on est face à un problème d'une importance pratique industrielle considerable, que l'on connait l'outil conceptuel pour le resoudre, qu'il reste un monde de difficultés tenant à la complexité combinatoire enorme, à la difficulté de l'approche algebrique par les méthodes traditionnelles de la mathématique, au manque congenital de formes canoniques pour les automates non deterministes que l'on est appelé à manipuler (à notre ignorance bien sur).

In fine, je voudrais espérer que l'Université de Bologne, en me conferant le titre prestigieux qui m'honore, savait ce qu'elle faisait. Mon maître Henri Cartan alors que j'étais encore sur les bancs de l'Ecole Normale Supérieure doutait en souriant de mon avenir de mathématicien en denoncant mon "dilletantisme" et c'est d'ailleurs lui qui m'a poussé non pas à faire de l'informatique, cela n'existait pas encore, mais à aller chercher fortune au centre de calcul du CNRS où - miracle - venait d'arriver une "machine à calculer" électronique. Immediatement seduit j'y suis resté et suis encore informaticien, la principale joie qu'elle m'a apportée étant celle de l'ignorance feconde, l'impression de mordre tout en sachant si peu de choses sur une immensité de problèmes, puisqu'aussi bien langages et automates, synchronises ou non, se retrouvent partout.


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